Extrait du numéro spécial Les Cahiers Lamy du DRH, septembre 2020, par Valérie Schegin, juriste, médiatrice, consultante associée, cabinet AlterAlliance.
Dans un monde en perpétuelle transformation où les conflits augmentent et où les collaborateurs ont besoin de comprendre et d’adhérer pour faire, quel peut être l’apport de la médiation ?
Quels sont le champ, les limites et les alternatives à la médiation ?
Suggérant la rencontre de sentiments, d’intérêts ou de positions contraires, le conflit renvoie à une relation de tension et d’opposition entre personnes, dont les effets délétères font l’entrevoir négativement.
Il est pourtant le reflet d’une liberté « C’est le propre de la pensée totalitaire de concevoir une fin des conflits »[1] et représente, à condition d’avoir été anticipé et abordé à temps ou d’avoir été géré efficacement, une opportunité de transformation positive du lien social.
Le conflit présente toujours des signes avant-coureurs, dont les malentendus et les désaccords non réglés ou mal gérés constituent les prémices, alors qu’ils pourraient nourrir la relation et l’efficacité.
Il représente alors tout autant un facteur de risque psychosocial que la conséquence d’un dysfonctionnement plus large, pouvant impacter aussi bien la santé que l’efficacité.
Très prisée des pays anglo-saxons, la médiation fait surtout parler d’elle pour ses nombreux bienfaits : un mode « soft » de règlement des désaccords et des conflits, qui allie souplesse, rapidité, efficacité, évitant les coûts, les lenteurs et les aléas d’un conflit judiciaire.
Au cœur d’une « justice douce »[2] qui privilégie une culture du règlement amiable des différends, la médiation est promue en France, par les magistrats et les avocats – qui se sont regroupés en association pour la défendre[3] – et elle bénéficie des faveurs du législateur depuis l’introduction de la médiation judiciaire (proposée par le juge, au cours de l’instance) en 1995[4].
Encouragée par de nombreux textes d’inspiration européenne depuis 2011[5] et dans certains cas, par la jurisprudence, la médiation conventionnelle (choisie par les personnes, en dehors de toute procédure judiciaire) a même gagné du terrain dans les conflits individuels du travail :
– la tentative de résolution amiable préalable obligatoire suppose d’en justifier préalablement à toute procédure judiciaire, si celle-ci ne peut être évitée,[6] sous peine d’irrecevabilité de la demande prononcée d’office par le juge.
– le champ de la résolution d’un différend concernant un contrat de travail s’est étendu : alors que la médiation conventionnelle étant auparavant réservée aux conflits transfrontaliers,[7] elle peut aujourd’hui porter sur le contenu du contrat de travail, autant que sur son exécution ou sa rupture.
– un recours facultatif à la médiation est aussi prévu pour « toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause » (art. 1152-6 du Code du travail).
Pourtant, nous observons en France, ce phénomène paradoxal : la pratique de la médiation, interne ou externe, est peu courante dans les relations du travail, alors qu’elle s’est beaucoup développée dans d’autres domaines : médiation sociale, scolaire, pénale, familiale, commerciale…
Pour en comprendre les raisons et avant d’envisager d’autres modalités d’intervention, nous porterons un regard sur le concept et la pratique de la médiation.
La médiation dans les conflits individuels du travail, de quoi s’agit-il ? Quelles conditions doit-elle réunir pour être mise en œuvre ? (I)
Pour quelles raisons la médiation dans les relations du travail ne peut-elle résoudre tous les conflits ? (II)
Dans quels cas faut-il lui préférer d’autres approches et lesquelles ? (III)
I – La médiation dans les conflits individuels du travail, de quoi s’agit-il ? Quelles conditions doit-elle réunir pour être mise en œuvre ?
- Un processus par essence volontaire, souple et confidentiel, conduit par un tiers médiateur, indépendant et qualifié.
L’article 1530 du Code de procédure civile[8] issu de l’ordonnance du 16 novembre 2011 transposant la directive européenne du 21 mai 2008[9], définit largement la médiation conventionnelle, sans en décrire le cadre, ni imposer aucun modèle.
L’accent est mis avant tout sur la finalité d’un processus qui permet de « tenter » de résoudre à l’amiable un différend, par l’entremise d’un tiers :
« Tout processus structuré par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ».
– L’adhésion des personnes :
Ce premier accord, sur la médiation et le médiateur, est indispensable au bon déroulement de toute médiation et à son aboutissement, les solutions étant d’autant plus durables qu’elles auront été recherchées et choisies par les protagonistes.
Sans cette adhésion à l’esprit de la médiation comme au processus, le risque serait de n’aboutir qu’à un accord de façade, le « passage en force » d’un accord créant potentiellement une déception réciproque source d’une aggravation des tensions.
En pratique, le rythme rapide et cadencé de la médiation ne permet d’ailleurs pas toujours de lever les résistances, notamment lorsque l’émotion est très présente.
C’est pourquoi, nous portons une attention particulière au contexte dans lequel elle s’inscrit, pour en évaluer le bien-fondé avant son démarrage.
– L’analyse de pertinence :
Notre analyse de la pertinence d’une médiation s’appréciant au regard du contexte, elle suppose un entretien préparatoire avec le donneur d’ordre, la communication d’informations et le cas échéant, de documents clés.
Cette évaluation impliquera en outre de recueillir confidentiellement l’avis d’autres acteurs de prévention, médecine du travail ou partenaires sociaux, notamment.
Le cadre de la médiation pourra ainsi s’adapter à la culture organisationnelle dans laquelle elle se déroule, selon le modèle d’une « arène authentique ».[10]
– Un processus en deux étapes :
L’étape individuelle (entretiens séparés) consiste principalement à vérifier et valider l’acceptation authentique de la médiation, afin qu’elle ne soit pas empêchée par des mécanismes d’instrumentalisation ainsi qu’à faciliter l’expression libre du vécu individuel et des attentes implicites de chacun.
L’information des personnes sur les contours éthiques et déontologiques[11] de la médiation et sur le rôle du médiateur, est un élément déterminant de la confiance accordée à ce dernier : la remise par le médiateur d’une note méthodologique détaillée, en complément des informations données à l’oral, introduit une solennité qui peut avoir un effet sécurisant.
La parole sera d’autant plus libre que la médiation a été choisie en toute connaissance de cause.
Si ces conditions sont remplies, le passage à l’entretien de médiation proprement dit (un à deux entretiens collectifs) rend alors possible :
– Un temps d’expression collective des désaccords et des ressentis, l’objectif étant d’aboutir à une compréhension commune des désaccords et du vécu émotionnel de chacun.
Il n’est pas rare que la médiation évolue vers une écoute réciproque, laissant place à une manière respectueuse de se parler et à l’ouverture, dès lors que l’autre est accepté ou reconnu dans sa différence. Cette phase de catharsis facilite un « point de bascule » qui fait ainsi passer de la confrontation à un accord sur les désaccords et rend alors possible une coopération sur le contenu.
– Un temps d’accompagnement dans l’exploration, avec confiance, de pistes de solutions et la co-construction d’une feuille de route commune (formalisée ou non par écrit) dont les aspects organisationnels sont débattus avec l’entreprise, l’objectif étant d’arriver à une solution viable, acceptable voire satisfaisante tant pour les protagonistes que pour l’organisation.
– Après l’entretien de clôture de la médiation, un entretien de suivi, à un mois d’intervalle environ, est parfois utile pour en accompagner la mise en œuvre sur la durée.
- Une méthode d’accompagnement qui requiert une compétence et une posture de neutralité et d’impartialité, n’excluant pas le rôle très actif du médiateur
La compétence du médiateur implique une garantie de probité et d’honorabilité et s’apprécie au regard de : « l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise eu égard à la nature du différend ou justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 1533 al. 2 et 3, C. proc. civ.).
De par l’extériorité qu’il a (médiation externe) ou se donne (médiation interne), le médiateur ne peut être partie prenante (« mediare » c’est étymologiquement être au milieu) mais son indépendance ne se décrète pas, elle doit être vécue comme telle par les protagonistes du conflit.
Cette indépendance suppose pour le médiateur une posture de neutralité (ne pas laisser interférer son jugement personnel, ses propres valeurs) et d’impartialité (ne pas prendre parti ou favoriser l’une ou l’autre des personnes) :
« La médiation est un temps de dialogue, facilité par un tiers n’exerçant pas de pouvoir de décision sur le fond et établissant un cadre, ayant pour finalité de permettre aux parties concernées de réaliser un projet, de résoudre une situation conflictuelle ou de rétablir/établir voire rompre à moindre mal une relation » (Arnaud Stimec)[12].
Le médiateur n’étant pas conciliateur (« conciliare » c’est étymologiquement « unir »), il s’agit davantage d’un savoir-faire relationnel que d’un ensemble d’outils, qui doit s’incarner dans un état et une attitude empathique ainsi que par une « diligence » en termes de confidentialité notamment : souplesse sur le fond mais fermeté sur la forme (respect des personnes, dans un cadre éthique et méthodologique prédéfini).
Un style plus ou moins directif dans la conduite de la médiation selon le contexte, n’est pas incompatible avec cette exigence de neutralité et d’impartialité, dès lors qu’il s’agit de rendre possible une compréhension/entente mutuelle et la motivation intrinsèque au changement, permettant ainsi de dépasser d’éventuelles résistances, sans tomber dans l’écueil de chercher à convaincre ou à « forcer » l’accord.
L’aide du médiateur ne consiste pas à conduire les protagonistes vers ses propres solutions ou celles qui lui seraient dictées par l’organisation, au risque de compromettre l’adhésion et donc la pérennité de son dénouement : rappelons que la médiation tout autant que ses résultats, doivent avoir été choisis ou acceptés (et non subis).
Notre méthodologie d’intervention s’inspire d’ailleurs, entre autres, de la méthode de l’entretien motivationnel de Miller et Rollnick,[13] conceptualisée au cours des années 80 pour le traitement des dépendances et inspirée du modèle de Carl Rogers.
II – Pour quelles raisons la médiation dans les relations du travail ne peut-elle résoudre tous les conflits ?
Nous sommes appelés à intervenir dans une grande variété de contextes qui correspondent à trois types de situations :
Par ailleurs, nous observons un grand nombre de situations relationnelles dégradées, entre deux personnes ou au sein d’équipes, pour lesquelles la médiation semble trouver ses limites.
- L’ancienneté et l’ampleur du conflit: « La source de toutes les hérésies est de ne pas concevoir l’accord de deux vérités opposées et de croire qu’elles sont incompatibles » (Blaise Pascal)[14]
Souvent, un conflit ne devient visible pour l’entourage, qu’au fur et à mesure de l’intensification de sa dimension relationnelle, alors que les signes de mal-être sont de plus en plus nombreux et l’espoir d’une résolution spontanée de plus en plus faible.
Or, quelle que soit la structure, nous sommes hélas souvent saisis tardivement, en présence de signaux d’alerte qui ont une origine plurifactorielle et qui ont déjà commencé à produire des conséquences dommageables pour l’entreprise et ses salariés : indicateurs RH et santé au travail inquiétants (incivilités, délitement du collectif de travail, absentéisme, perte de performance, turn-over…), alertes RPS de la médecine du travail, de l’inspection du travail, du personnel et/ou de ses représentants.
La médiation ne peut se dérouler qu’avec les seuls protagonistes du conflit, alors que ce dernier dépasse bien souvent le cercle restreint d’un nombre limité de personnes auquel l’on voudrait parfois se cantonner.
En effet, les situations de tension relationnelles sont rarement dues au comportement d’une ou plusieurs personnes, mais à une histoire et à une globalité qu’il convient de prendre en compte sous l’angle individuel et collectif, des relations de travail, de l’environnement de travail, des pratiques de management et d’organisation.
- La souffrance relationnelle des protagonistes : « Tant qu’il souffre, un blessé ne parle pas» (Boris Cyrulnik)[15]
Parfois, les personnes expriment un tel vécu de souffrance relationnelle qu’il leur est difficile, voire impossible, d’entrevoir tout échange avec celui qu’elles considèrent comme l’auteur de leur mal-être, ou même de se retrouver en sa présence, ce qui empêche bien évidemment toute médiation.
La honte est souvent très présente, agissant comme un détracteur intime : ne pas se sentir « à la hauteur », se sentir d’autant plus « faible » que ce sentiment fait vivre dans la dévalorisation permanente et la crainte du regard de l’autre : « qu’ai-je fait pour en arriver là ? », « je n’ai pas tenu le choc », « comment justifier auprès des autres des semaines d’arrêt de travail ? ». La honte mène à l’isolement et fait donc obstacle à l’échange nécessaire à toute médiation.
Les personnes manifestent d’autant plus rarement le souhait de participer à une médiation que le conflit est déjà très enkysté et qu’il ne peut se résoudre, du point de vue de chacun, que par la reconnaissance de leur mal-être par l’organisation, au travers de solutions providentielles se réduisant le plus souvent à un changement de comportement aussi radical qu’irréaliste ou à un départ de l’autre : sanctionner les dérives managériales ou celles de l’équipe ou bien, changer de manager ou renouveler l’équipe…
Une stratégie d’évitement de l’impossible à dire ou à entendre se met en place, par le retrait ou l’opposition.
La souffrance peut alors s’exprimer par un biais juridique ou judiciaire : exercice du droit d’alerte ou de retrait, arrêt de travail, aménagement du temps de travail, déclenchement d’une procédure interne de signalement[16], dénonciation de harcèlement moral ou sexuel et/ou de discrimination souvent concomitante avec des témoignages et attestations de collègues de travail, dépôt de plaintes pénales…
Dans le cas d’un fait déclencheur qualifié juridiquement, notamment de harcèlement avéré envers une personne dont la santé physique ou mentale est altérée, la médiation n’est pas ou n’est plus la réponse appropriée pour les personnes et peut même être dangereusement inadaptée car elle ne fera qu’ajouter à la souffrance a minima pour l’un des protagonistes…
« Si vous voulez comprendre pourquoi je n’ai rien dit, il vous suffit de chercher ce qui m’a forcé à me taire. Je vais donc me taire pour me protéger. Le honteux aspire à parler, mais il ne peut rien vous dire tant il craint votre regard » (Boris Cyrulnik)[17]
- L’accord des protagonistes pour participer à une médiation : « Tous les principes éthiques de la médiation défendent le principe d’une participation directe et d’une responsabilisation de chacun dans la résolution de ses propres conflits» (Jacques Faget)[18]
Nous avons vu que la médiation tire sa force du fait qu’elle consiste à accompagner les personnes de telle sorte que la solution vienne d’elles et non du médiateur, ce qui suppose que les personnes l’aient demandée ou sincèrement acceptée : imposer la médiation ou contraindre les personnes à se mettre d’accord serait en effet totalement contre-productif.
Or, la médiation et le médiateur sont souvent choisis par la direction, ce qui alimente la réticence des protagonistes.
Parfois, certains acteurs, y compris dans le champ de la prévention des risques professionnels : DRH, managers et collaborateurs, IRP, médecine du travail, affichent une minimisation du conflit ou un déni, la médiation rencontrant de nombreuses résistances qui font oublier ou refuser d’y recourir et favorisent l’escalade du conflit : « Un tiers n’y changera rien, c’est à l’autre de changer d’attitude », « Qu’ils se débrouillent entre eux », « Ce sont des chamailleries », « Ça finira bien par passer », « Encore une dépense inutile », « Nous avons déjà tout essayé »…
Chez les managers, nous constatons parfois une tendance à l’enfouissement du conflit, de peur que la médiation ne signe un aveu d’échec de leur part, une perte de contrôle ou d’autorité au sein de l’organisation : « Que penseront mes collaborateurs/les RH/mes collègues/mon manager, si je ne suis pas capable de gérer tout seul », sans pour autant se demander en quoi cette attitude peut justement contribuer à entretenir le conflit.
Les protagonistes devant être traités sur un pied d’égalité, une trop grande asymétrie du rapport de forces constitue aussi régulièrement un frein à la médiation : différence de niveau hiérarchique, de statut, ou bien encore l’espoir ou l’assurance d’un gain important pouvant être obtenu autrement (syndrome du Jackpot).
Si le pas est franchi, la médiation pourra évoluer vers la recherche d’un terrain d’entente, ce qui ne dispense pas le médiateur de travailler sur les résistances, tout au long de la médiation.
Nous observons à cet égard, que la clarté de l’information donnée par le médiateur, oralement et par écrit, en amont des premiers entretiens, sur son rôle, le processus et ses garanties – en termes de posture, de méthodologie et de confidentialité, notamment – permet d’orienter les personnes vers d’autres réponses et d’instaurer un niveau de confiance qui permettra de poursuivre en plénière.
Face à un manque d’information ou d’explication, même si la dimension émotionnelle du conflit ne permet pas toujours de les entendre au mieux, les protagonistes peuvent avoir le sentiment d’être dessaisis de leur liberté de choix : n’osant pas toujours refuser la médiation, ils s’y engagent à contre-cœur et la séance plénière évolue rarement dans un climat d’écoute et de bienveillance mutuelle nécessaire au rétablissement d’un dialogue constructif.
Nous vous livrons ici un exemple de conflit interpersonnel, pour lequel la médiation a démontré son efficacité.
Exemple : médiation entre deux collègues de travail, ayant permis le retour à un climat de travail collaboratif dans le cadre d’un accord sur des évolutions comportementales, organisationnelles et managériales.
Nous avons été saisis d’une demande de médiation par la DRH d’une structure libérale, afin d’accompagner une situation relationnelle dégradée entre deux collaboratrices qu’une médiation interne informelle n’avait pas permis d’apaiser : un binôme d’assistantes récent, travaillant pour un même service, partageant le même bureau, quelques dossiers et clients communs et le même rattachement hiérarchique et fonctionnel.
L’objectif était de susciter, autant que possible, une réflexion commune, sur le vécu de chacune, la manière de continuer à travailler ensemble et la recherche active de solutions à mettre en place quotidiennement pour gagner durablement en sérénité et en efficacité.
La démarche semblait à première vue compromise : un conflit de personnes très enkysté, amplifié par la promiscuité de l’espace de travail.
La première assistante : plus jeune mais à ce poste depuis 15 ans, familiarisée avec les habitudes de travail prises au fil du temps et la culture de la structure, bénéficiant d’une très grande autonomie au travail et habituée à cohabiter depuis de longues années avec une collègue-amie, dont la mobilité a coïncidé avec l’arrivée de la seconde.
La seconde assistante : recrutée depuis un an, ayant travaillé pendant 20 ans dans différentes structures de type anglo-saxon. Une posture relationnelle plus rigide, perçue comme emprunte de supériorité, une minutie dans le travail et une présence au-delà des horaires impartis, assimilées à du « fignolage » et à une « lenteur » excessive par sa collègue.
Une cristallisation des tensions autour de la personnalité et des attitudes de chacun, du rythme et des méthodes de travail : la reconnaissance des compétences professionnelles de chacune mais largement entravée par le vécu douloureux d’une charge de travail inégale, et surtout d’une totale « incompatibilité » interpersonnelle, de violentes altercations, des attaques personnelles, la situation ne pouvant se résoudre selon chacune, que par la séparation physique du binôme.
L’étape plénière a permis de parvenir à une écoute/compréhension du vécu de chacun et de dégager les évolutions relationnelles attendues, vers des modes de fonctionnement et des comportements ajustés (feuille de route commune : posture relationnelle, méthode de travail…). La compréhension de l’intention de chacune a pu remplacer l’interprétation négative attribuée par l’une à l’autre.
Des axes d’amélioration managériaux et organisationnels ont aussi émergé des entretiens, aboutissant notamment, avec le concours de la DRH et du management à : un aménagement de l’espace et du temps de travail, un rattachement fonctionnel distinct, une répartition plus claire des dossiers, permettant de mieux cadrer le travail ensemble…
III – Si la médiation ne peut résoudre tous les conflits individuels du travail, dans quels cas faut-il lui préférer d’autres approches et lesquelles ?
Diagnostic global: « La définition de la QVT, sa conduite et son évaluation sont des enjeux qui doivent être placés au cœur du développement du dialogue social » (ANI QVT du 19 juin 2013)
La médiation s’avère inappropriée dans les situations de tensions relationnelles anciennes, dont les effets se sont propagés au-delà de leur sphère d’origine, gagnant toute une équipe, un autre département, voire toute l’organisation, rendant nécessaire une approche de diagnostic organisationnel.
Dans le cas d’un conflit circonscrit au sein d’un contexte organisationnel déjà difficile par ailleurs, la médiation ne serait qu’une solution ponctuelle et isolée.
Le périmètre de l’évaluation, qu’elle soit globale ou ciblée, étant plus large que celui d’une médiation par essence limitée aux seuls protagonistes du conflit, on évite aussi le risque d’une stigmatisation individuelle.
Si la médiation est un éventuel complément au diagnostic, voire une solution parmi d’autres, elle ne saurait en aucun cas s’y substituer.
Ainsi, en présence d’indicateurs de risques psychosociaux à l’échelle de la structure, une démarche globale d’évaluation de ces risques et d’amélioration de la Qualité de Vie au Travail est la meilleure réponse à l’obligation générale de prévention : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » (art. L4121-1 du Code du travail). [19]
La jurisprudence a converti depuis l’arrêt Air France de 2015[20] l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur en obligation de moyens renforcée : en pratique, cette obligation revient à mettre effectivement en œuvre des mesures adaptées et proportionnelles à chaque situation, sur le fondement des principes généraux de prévention (art. L. 4121-2 du Code du travail).
Or, ces mesures ne peuvent découler que d’une évaluation des risques à la source.
Cette évaluation présente donc ce double avantage d’aboutir à un état des lieux objectivé et à un plan d’action découlant d’une analyse pluridisciplinaire, sous l’angle relationnel mais aussi managérial et organisationnel, tout en permettant d’actualiser le Document Unique d’Evaluation des Risques Psychosociaux (volet RPS).
Au-delà de ces enjeux juridiques, une approche pragmatique plaide aussi en faveur d’une démarche d’évaluation, parce qu’elle offre l’opportunité inégalable de s’inscrire dans une logique de prévention et de concertation, plutôt que dans une logique de réparation et de gestion de symptômes a posteriori.
– D’une part, elle est par essence participative et donc pluridisciplinaire : impulsée par la direction et/ou les partenaires sociaux, elle repose sur l’implication de l’ensemble des acteurs (direction, management, collaborateurs, partenaires sociaux, SST).
En effet, qu’elle soit qualitative (entretiens individuels et collectifs) et/ou quantitative (questionnaires scientifiques validés internationalement), un comité de pilotage paritaire est constitué si possible à son démarrage. Un nombre représentatif de salariés (méthode d’échantillonnage aléatoire) est rencontré en entretiens confidentiels, sur base de volontariat. Il est d’ailleurs très important à ce stade que les entretiens soient conduits par plusieurs intervenants, afin de limiter la subjectivité et de croiser les regards.
Le diagnostic assorti de préconisations fait l’objet d’un premier partage confidentiel, en comité de pilotage puis, en plénière avec l’ensemble des salariés ; il s’agit là d’un temps collectif fort, très attendu : idéalement, cette restitution doit inspirer aux collaborateurs le sentiment de se reconnaitre sans se sentir trahis, d’avoir été entendus et de se sentir reconnus.
– D’autre part, elle permet de passer du diagnostic assorti de préconisations, à un véritable plan d’actions efficace et réaliste, en articulation étroite avec le comité de pilotage paritaire, ou les partenaires sociaux.
Pour conclure, nous présentons ici les grandes lignes d’une démarche globale d’évaluation, dans le cadre d’un conflit intergroupes : une médiation au sein de l’entité la plus affectée par les tensions n’aurait fait que stigmatiser une minorité d’acteurs, au risque de renforcer les clivages intergroupes. Elle n’aurait pu non plus permettre de garantir un temps de parole, d’écoute et de diagnostic égal pour tous les salariés, pourtant tous concernés.
Exemple : démarche globale d’évaluation des RPS et de la QVT, dans un contexte social très dégradé
Nous sommes intervenus dans un établissement de soins, au climat social fortement dégradé (recrudescence d’incivilités, de marques d’irrespect envers les personnes, comportements de sabotage, plaintes d’usagers, courriers anonymes, alertes RPS de salariés…) : des conflits interpersonnels vifs et douloureux, au sein d’une équipe travaillant à proximité de l’établissement mais dans des locaux distincts.
Mais, à l’échelle de la structure, une dynamique de groupe opposait l’ensemble du personnel autour de points de vue adverses, par un jeu d’alliances et d’exclusions : deux clans s’accusant réciproquement des dysfonctionnements, tout en accusant aussi la direction et l’encadrement, sur la base d’éléments d’appartenance ou de statut, ou encore sur une base idéologique. Une majorité silencieuse avait du mal à trouver sa place et la direction à se faire entendre.
Le nouveau directeur de la structure avait rapidement engagé des chantiers d’envergure, qui ont rencontré de nombreuses résistances : nouvelles modalités d’organisation du travail, notamment dans la conduite de la prise en charge (postes à pourvoir ou à redéfinir, groupes d’analyse des pratiques, mise à jour des projets personnalisés, groupes de parole pour les usagers).
Ces changements étaient dictés par des injonctions de l’autorité de tutelle et l’urgence de faire évoluer les pratiques et les process existants pour s’inscrire dans une démarche qualité et se mettre en conformité avec les normes du secteur.
Nous avons donc accompagné cet établissement via une démarche d’évaluation globale des RPS et de la QVT, qui a été restituée au comité de pilotage paritaire puis, en plénière, à l’ensemble des salariés.
Grâce à la rencontre d’un nombre représentatif de salariés, sur base de volontariat et aux travaux réguliers du comité de pilotage, un plan d’action a pu être co-construit et contribuer ainsi progressivement, au retour à un climat de confiance envers la direction et entre les salariés, tout ceci ayant eu pour résultat d’inverser une dynamique de groupe délétère.
Parmi les mesures ayant découlé de ce plan d’actions : recadrage-sanction des comportements toxiques avérés, promotion des comportements vertueux (charte éthique co-construite), création d’espaces de discussion et de groupes de travail en co-développement entre pairs, autour de situations concrètes de difficulté issues de leur quotidien professionnel et de solutions communes.
- Diagnostic ciblé ou enquête par recueil de témoignages
La pertinence d’une médiation entre les protagonistes d’un conflit peut s’apprécier principalement au regard du périmètre du conflit (limité aux protagonistes), de sa non judiciarisation et de l’absence de souffrance relationnelle, ce qui revient à exclure la médiation en présence d’éléments de contexte laissant présager ou supposer un harcèlement moral.
Dans les cas d’une détérioration importante du climat relationnel sur un périmètre restreint, un diagnostic organisationnel ciblé ou une enquête par recueil de témoignages, constituent souvent la seule issue, puisqu’il s’agira de faire la lumière sur la situation relationnelle dégradée. Seront utilisés des entretiens individuels, confidentiels, avec les personnes elles-mêmes mais aussi avec des personnes travaillant ou ayant travaillé avec elles.
L’une comme l’autre, se matérialisent en outre habituellement par l’élaboration d’une analyse assortie de préconisations, permettant à l’entreprise de mettre en œuvre des mesures de protection, et in fine, des actions préventives et correctives de prévention des risques psychosociaux, sous l’angle individuel mais aussi collectif (relations de travail, organisation du travail, pratiques de management) : la transcription des risques et du plan d’actions dans le Document Unique d’Evaluation des Risques (volet psychosocial), marque alors le point d’aboutissement de la démarche.
- Diagnostic ciblé
L’absence de judiciarisation de la problématique fera souvent préférer la souplesse d’un diagnostic ciblé à 360° (recueil de perceptions, anonymisés) à la procédure d’enquête au cadre plus corseté (recueil de témoignages signés). L’analyse documentaire permet de s’en assurer, afin de ne pas s’engager dans une démarche d’investigation très connotée juridiquement.
L’exemple qui suit en est l’illustration : le choix s’est porté sur un diagnostic ciblé, en raison du degré de précision et de gravité des alertes, qui permettait de s’affranchir des contraintes d’investigation et de formalisation d’un recueil de témoignages.
Le conflit asymétrique (un seul contre tous) se prêtait en effet davantage à une analyse plurifactorielle : les situations de risques psychosociaux sont plus souvent dues à une globalité de facteurs qu’au comportement d’une seule personne et parfois, la posture de dénonciation peut révéler un mécanisme de coalition.
Au regard de la gravité et de l’intensité des faits et propos relatés ainsi que du profond mal-être des salariés émergeant des alertes, les entretiens pouvaient en outre comporter, pour une majorité de l’équipe, une forte dimension de soutien psychologique.
Exemple : diagnostic ciblé des conditions de travail et d’une situation de travail dégradée, dans le département administratif d’une société de services
Le contexte était marqué par de nombreuses alertes émanant d’une équipe et de sa responsable ainsi que de témoins directs, relatant des faits et propos emprunts d’intimidations et de violences, émanant d’un membre de l’équipe, depuis sa reprise du travail après trois ans d’absence.
L’équipe, sa hiérarchie, le médecin du travail et des personnes occupant des places différentes et en position d’observation (conseiller en prévention, IRP…) ont été rencontrés en entretiens individuels confidentiels.
Les échanges et l’observation des situations de travail ont fait émerger la récurrence de comportements déviants avérés de la collaboratrice au cœur de ces tensions (propos injurieux, insubordination persistante, non-respect des règles d’organisation du service…) ayant pour effet de dégrader l’efficacité individuelle et collective, autant que la santé psychologique au travail : un vécu de mal-être généralisé, corroboré par de nombreux indicateurs de détérioration de la performance et de la santé psychologique.
Cette situation de risque psychosocial était tempérée par d’importants facteurs de protection au sein de l’équipe : fort intérêt pour le travail, soutien et esprit d’entraide dans l’équipe, soutien managérial de la responsable très appréciée. Deux longues périodes d’absence de cette collaboratrice (congé maternité puis, congé parental d’éducation pendant 3 ans) avaient coïncidé avec un retour à l’apaisement. La structure comportait en outre un dispositif gratuit d’accompagnement et de soutien psychologique des salariés accessible 7/7j.
Parmi les recommandations issues de notre intervention : la prise de mesures immédiates, de protection des personnes pour la durée de l’étude (éloignement de l’auteur des comportements toxiques, notamment) et de sanction de ces comportements toxiques, afin de ne pas compromettre durablement la santé et l’efficacité de l’équipe déjà particulièrement affectée et l’élaboration « à froid » d’un dispositif d’alerte interne, activable à tout moment.
- Enquête par recueil de témoignages
Nous ne citerons que le cas du harcèlement moral au travail dans lequel nous sommes appelés à intervenir le plus fréquemment.
La démarche d’enquête est néanmoins adaptée à toutes les situations relationnelles dégradées présentant un enjeu de responsabilité civile ou pénale, dont l’éventail s’est considérablement élargi au fil des années : harcèlement moral d’origine relationnelle ou organisationnelle, harcèlement discriminatoire, sexuel, outrage sexiste, agissements à connotation sexiste…
Nous avons vu (II – Pour quelles raisons la médiation dans les relations du travail ne peut-elle résoudre tous les conflits ?) qu’à l’inverse, une tentative de résolution du conflit par la médiation serait tardive et inadaptée, vis-à-vis de toute forme de violence psychologique au travail ayant pour effet (ou pour objet) une dégradation des conditions de travail, menaçant de porter atteinte à la dignité de l’individu ou à son avenir professionnel et de lui infliger de graves dommages psychiques et physiques.
Le harcèlement moral, délit prohibé par le Code du travail, [21]réprimé par le Code pénal[22] se prête donc particulièrement bien à la méthodologie d’enquête qui permet de recueillir des témoignages corroborant ou non la matérialité des faits et d’en vérifier la concordance par le croisement des regards
En effet, les vertus probatoires d’une enquête externe réalisée par un expert indépendant et assortie d’un rapport d’enquête composé notamment du recueil des témoignages signés par toutes les personnes entendues (protagonistes et témoins), sont d’emblée très supérieures à celles d’un diagnostic (propos anonymisés).
Les garanties d’expertise, de pluridisciplinarité, d’indépendance, de neutralité, et l’absence de tout conflit d’intérêt qu’une enquête externe présente, sont au demeurant un gage d’efficacité sur le fond, l’enquête devant aussi garantir la dignité de chacun, « plaignant » et auteur supposés des agissements de harcèlement.
La préférence des entreprises pour les enquêtes semble être le plus souvent motivée par les dernières évolutions jurisprudentielles favorables aux témoignages signés, les témoignages anonymes pouvant constituer un élément d’information mais non une preuve principale de la faute du salarié (Cass. Soc. 4 juillet 2018, n° 17-18.241).
Par ailleurs, dans le cadre d’agissements constitutifs de harcèlement moral avérés ou non, l’obligation de sécurité de moyens renforcée est complétée par une obligation de réaction immédiate.[23]
L’employeur est donc tenu à cette double contrainte, de prévention des risques et de prohibition de tout agissement de harcèlement moral, qui lui impose :
– D’évaluer les risques et de prendre les mesures de prévention de nature à éviter la survenance d’agissements de harcèlement moral (obligation de moyens renforcée)
– De prendre « les mesures immédiates propres à le faire cesser et de nature à faire cesser le risque s’il est avéré », dès lors qu’il est informé « de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral ».
Dans un arrêt du 27 novembre 2019[24], la Cour de cassation impose de diligenter une enquête au risque pour l’employeur, de voir sa responsabilité engagée, même si les faits allégués ne sont pas établis : « l’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral […] et ne se confond pas avec elle ».
Une approche restrictive de la procédure d’enquête consisterait à se limiter à un travail directif, uniquement investigatoire, centré sur la seule dimension relationnelle du conflit celle-ci n’étant appréhendée que sous l’ange de la recherche d’un faisceau d’indices, de faits et propos, graves et concordants, répétés ou récurrents.
Elle ferait alors courir le risque d’en négliger la forte dimension émotionnelle et de restreindre ou d’empêcher la libre expression des ressentis et des enjeux implicites, alors que le conflit est exacerbé (du point de vue cognitif, affectif et comportemental).
Nous passerions également « à côté » d’une compréhension objectivée de la situation de travail dans toute sa complexité, une telle approche menaçant d’aboutir à des résultats très éloignés de la réalité et de se laisser prendre au piège de l’instrumentalisation.
C’est la raison pour laquelle nous sommes généralement conduits à réaliser des enquêtes « harcèlement moral et conditions de travail » prenant en compte toutes les dimensions du conflit, individuelles et collectives, qu’elles soient d’ordre : émotionnel, relationnel, organisationnelle et managériale.
Nous nous inspirons ainsi, dans la conduite des entretiens, de la littérature scientifique et des travaux de recherche sur le sujet, notamment ceux de Heinz Leymann, à l’origine du questionnaire LIPT[25]permettant d’évaluer la prévalence d’exposition à 45 situations de violence psychologique au travail et qui en définit le concept :
« Par mobbing, nous entendons une situation communicative qui menace d’infliger à l’individu de graves dommages, psychique et physiques. Le mobbing est un processus de destruction : il est constitué d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante à des effets pernicieux »[26].
Synthèse : « La seule “bonne pratique” est la pratique de la controverse sur le travail bien fait et d’abord entre pairs » (Yves Clot[27])
Si la médiation est adaptée à tous les conflits individuels du travail, cela ne veut pas dire qu’elle soit toujours efficace pour les régler amiablement, notamment s’ils sont anciens et qu’il en découle une situation de souffrance relationnelle avérée.
Une approche de diagnostic organisationnel est donc souvent rendue nécessaire, en particulier dans un contexte marqué par d’autres indicateurs sociaux inquiétants. Elle permet de faire évoluer la situation dans le sens de l’efficacité et de la santé, sans se limiter à la seule dimension relationnelle du conflit, que ce soit dans l’analyse ou dans les recommandations qui en sont issues.
Néanmoins, une enquête étendue aux conditions de travail semble devoir s’imposer pour des raisons probatoires, en présence d’indices ou d’alertes laissant supposer une situation de harcèlement. Cette démarche n’exclut d’ailleurs pas un rapport d’enquête extrêmement détaillé, qui soit constitué de l’ensemble des témoignages signés et assorti d’une analyse approfondie et de recommandations.
Nous constatons néanmoins que toutes ces démarches ont vocation à se déployer dans des situations de crise qu’une mise en débat des désaccords aurait souvent permis de prévenir.
Les paramètres nécessaires sont manquants ou erronés.
Comme l’évoque Bruno Lefebvre dans son article dans le cadre du présent dossier, les entreprises se transformant sans cesse, la meilleure manière de prévenir les risques psychosociaux et d’améliorer la qualité de vie au travail dans les organisations, est plus que jamais d’instaurer une mise en débat du travail et d’appliquer un « principe de subsidiarité », afin d’éviter la dérive trop souvent observée dans les entreprises « top down » où les collaborateurs ne participent pas aux décisions qui les concernent au quotidien.
Les partenaires sociaux dans ce très bel accord du 19 juin 2013[28] ont consacré cette évolution d’une nécessaire « qualité des relations sociales et de travail » dont les « espaces de discussion », par unités de travail et par thématiques, sont le premier levier, via le « droit à l’expression directe et collective des salariés ».[29]
En découlent naturellement :
– l’instauration de temps et d’espaces de dialogue sur l’activité de travail et ses modalités d’exercice, entre pairs : « espaces de discussion », groupes d’échanges de pratiques, communautés de managers, retours d’expérience à l’issue d’un projet…
– une sensibilisation aux enjeux de posture pour les fonctions en situation d’interface et donc souvent, de médiation informelle (managers, RH, IRP, voire médecin du travail): faciliter la mise en débat des désaccords, accompagner un dialogue de qualité, aider à se comprendre plutôt que chercher à convaincre ou à imposer.
Nous sommes passés d’une culture de l’obéissance et de la loyauté, à une culture de l’adhésion qui répond au besoin de comprendre pour faire et ne peut se construire que par la controverse : la mise en débat des désaccords devient alors nécessaire à l’élaboration d’une vision convergée du « travail bien fait ».[30]
[1] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, 1951, Harcourt Brace & Co
[2] Jean-Pierre Bonnafé-Schmitt, La médiation, une justice douce, 1992, Syros
[3] Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation (GEMME) ; Association des Médiateurs Européens (AME) – Centre de médiation du Barreau de Paris
[4] Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative
[5] Ordonnance du 16 novembre 2011 transposant la directive européenne no 2008/52/CE du 21 mai 2008
[6] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron » ; Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite « Justice du XXIe siècle » et loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
[7] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Loi Macron »
[8] Décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends (art. 1530 à 1535 du C.P.C)
[9] Directive européenne n° 2008/52/CE du 21 mai 2008
[10] Thomas Fiutak, Le médiateur dans l’arène. Réflexions sur l’art de la médiation, 2009, Eres
[11] Code de conduite européen pour les médiateurs, 2004 et Code National de Déontologie du Médiateur, 2009
[12] Arnaud Stimec et Sylvie Adijes, La médiation en entreprise. Faciliter le dialogue – Gérer les conflits – Favoriser la coopération, 2015, Dunod
[13] William Miller et Stephen Rollnick, L’entretien motivationnel, L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement. mars 2019, InterEditions
[14] Blaise Pascal, Pensées, Edition de Michel Le Guern, 2004, Gallimard
[15] Boris Cyrulnik, Mourir de dire. La honte, 2010, Odile Jacob
[16] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II
[17] Boris Cyrulnik, Mourir de dire. La honte, 2010, Odile Jacob
[18] Jacques Faget, Médiation et post-modernité. Légitimation ou transformation de l’action publique ? 2006, Revue Négociations, vol. 6 (2) p. 51-62
[19] Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale
[20] Cass. Soc. 25 novembre 2015, n°14-24444, arrêt « Air France »
[21] Article L 1152-1 du Code du travail
[22] Article 222-33-2 du Code pénal
[23] Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19.702, arrêt « Finimétal »
[24] Cass. Soc. 27 novembre 2019, n° 18-10.551
[25] Heinz Leymann, 1996, Leymann Inventory of Psychological Terror (LIPT)
[26] Heinz Leymann, La persécution au travail, 1996, Seuil
[27] Yves Clot, Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, 2010, La découverte
[28] ANI du 19 juin 2013, Vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle
[29] Article L. 2281-1 du Code du travail
[30] Yves Clot, Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, 2010, La découverte