Une perspective individuelle, managériale et organisationnelle
Aucune discipline ne peut se targuer d’être seule propriétaire du domaine de la santé au travail. Ces sujets constituent donc l’occasion d’exercer en pluridisciplinarité. L’enjeu est donc le dialogue et la co-construction entre différentes disciplines. C’est pourquoi nous avons choisi d’associer le point de vue juridique d’une avocate experte en droit du travail et celui d’un psychologue clinicien, exerçant également en tant que conseil au sein d’organisations de toutes tailles et de tous secteurs.
Notre intention conjointe dans le présent article est de fournir au lecteur tant des outils d’analyse de situations afin de se repérer que des outils pour agir.
I- Une approche psychosociale
Burn-out. Le terme s’est répandu dans l’espace médiatique et dans l’entreprise. Notre pratique de psychologue clinicien depuis 20 ans, ainsi que nos interventions sur le terrain, en entreprise nous montrent combien cette notion recouvre une réalité parfois dramatique et ce bien avant qu’il ait été répandu dans l’espace public. Le terme est d’ailleurs–parfois- galvaudé, peut-être comme l’ont été ceux de « harcèlement moral » ou de « souffrance au travail » avant lui. Il arrive également que cette réalité longtemps définie de manière floue constitue le lit d’instrumentalisations diverses. Qui n’a jamais observé autour de lui un arrêt de travail de quelques jours pour un motif déclaré de « burn-out » ? Ne serait-ce que par respect pour les personnes vivant réellement cette affection, un travail de description précis s’impose.
Au-delà de la description de symptômes ou même du processus d’installation du burn-out chez un individu, il s’agit bien sûr de s’intéresser à sa prévention et à son traitement et ce à plusieurs niveaux.
Nous développerons ici une triple perspective :
– Individuelle : car il s’agit avant tout du vécu d’un individu qu’il faut pouvoir comprendre et accompagner,
– Collective : car les relations de proximité incluant le management jouent un grand rôle, tant dans l’installation de la difficulté que dans ce qui peut permettre au salarié de s’en sortir,
– Organisationnelle : car les modes d’évaluation, d’organisation du travail, ainsi que les comportements des dirigeants peuvent avoir un impact important sur les situations de burn-out.
1) Mieux comprendre le burn-out
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), reprenant la CIM-11 (Classification
Internationale des Maladies), « Le burn-out, ou épuisement professionnel, est un syndrome conceptualisé comme résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré ».
Trois dimensions le caractérisent :
– un sentiment de manque d’énergie ou d’épuisement ;
– un retrait vis-à-vis du travail ou des sentiments de négativisme ou de cynisme liés au travail ;
– une perte d’efficacité professionnelle. *
Au-delà de cette description un peu sèche, tentons de raconter l’histoire d’une situation que nous avons réellement accompagnée pour en mesurer les aspects individuels, collectifs et organisationnels
L’installation d’un burn-out…
A) Une lune de miel
Thomas** débute dans sa carrière d’ingénieur. Il travaille en milieu industriel et a choisi ce secteur pour le sentiment d’avoir un « impact » concret. Il adore son travail qui lui rend bien : il reçoit de nombreux signes de reconnaissance : ses collègues de la technique, ainsi que les Business Units l’apprécient et sa hiérarchie le valorise aux yeux de tous.
Très engagé dans son travail, Thomas consacre peu de temps et d’investissement à une vie extra-professionnelle, celle-ci lui apparaissant parfois même un peu fade face à l’intensité de sa vie professionnelle.
Cette lune de miel dure plusieurs années… L’entourage de Thomas lui conseille parfois de ne « moins travailler ». Il écoute poliment, mais sait bien que les autres ont du mal à comprendre à quel point il aime son travail. De toute façon, tout le monde le sollicite, parfois même pour refaire le travail de ses collègues, tant il est devenu une référence.
B) Une phase de résistance
Thomas est désormais un ingénieur expert dans son domaine, reconnu pour son engagement, et sa capacité à toujours prendre sur lui pour concilier des enjeux techniques et business.
Mais sa situation de travail se tend : l’un de ses camarades de promotion devient manager alors que cette évolution lui est refusée, sans qu’il comprenne très bien pourquoi : en effet son engagement est sans faille, même ses collègues ingénieurs
s’adressent à lui quand ils rencontrent une difficulté, il ne refuse d’ailleurs jamais un coup de main.
Ayant bien compris depuis longtemps qu’un surcroît d’engagement au travail l’aidait toujours à se sortir des difficultés, il redouble d’investissement dans ses fonctions. Il se sent parfois un peu agacé vis-à-vis de ses collègues moins travailleurs que lui. Ceux-ci n’osent plus trop lui faire de remarques car il « prend tout personnellement ».
Ni la hiérarchie, ni la RH ne la reçoivent formellement pour lui expliquer pourquoi le poste de manager lui est refusé. Il en conçoit un véritable sentiment d’injustice et devient critique vis-à-vis de l’organisation.
Engagé, particulièrement solide et peu enclin à se plaindre, Thomas tient bon plusieurs années dans cette position de résistance. Il s’investit de plus en plus, espérant secrètement retrouver cet état antérieur de plénitude qu’il a parfois tendance à idéaliser.
C) La rupture
Du jour au lendemain, Thomas ne vient plus travailler. Personne ne sait pourquoi. L’un de ses collègues parvient enfin à le joindre et apprend avec stupéfaction qu’il est en arrêt de travail, lui qui n’était jamais malade !
Plusieurs mois plus tard, Thomas racontera ce qui lui est arrivé subitement :
– « Je me sentais d’un coup très loin de mes projets, comme si j’étais absent à tout, en surplomb » (sentiment de dépersonnalisation)
– « Moi qui étais si fier de mon travail, je me sentais nul, pas à la hauteur » (perte brutale de l’estime de soi)
– « Je n’arrivais plus à rien faire, juste à être triste du matin jusqu’au soir » (perte d’énergie et grande tristesse)
Il pourra reprendre son travail, à un autre poste, après plusieurs mois d’arrêt et une profonde réflexion entamée avec l’aide d’un psychologue spécialisé dans le but de « réinventer son rapport au travail ». Il n’en attend alors plus autant et s’investit dans d’autres domaines qu’il a délaissés depuis ses études, faute de temps. Il pense à changer complètement de métier, mais se donne le temps.
Diagnostic différentiel ou « faux-amis »
En matière de burn-out, il est essentiel de faire la différence entre ce processus et d’autres qui pourraient lui ressembler, mais dont l’accompagnement s’avérerait différent.
– Le surmenage
Le surmenage est consécutif d’un excès de travail à un moment donné. Si nous prenons la métaphore du sport, il consisterait en une période trop intense d’entrainement ou de compétition, amenant à une blessure et pour laquelle la seule issue serait le repos. Après celui-ci, tout rentrerait dans l’ordre (jusqu’à la prochaine fois !).
Le processus amenant au burn-out serait différent : la personne ne pourrait cesser de s’entrainer après une blessure et poursuivrait son activité malgré tout, du fait de sa propre impossibilité à s’arrêter et/ou du fait qu’aucune interruption ne serait acceptable pour son environnement. Même si son traitement rentre dans le champ global de la prévention des risques psychosociaux, le remède au surmenage se différencie nettement de la prise en charge du burnout. La réorganisation des tâches, le recrutement de nouveaux talents, la négociation sur des délais ou des moyens constituent des solutions organisationnelles et managériales. Sur le plan individuel, s’éloigner du travail et se « déconnecter » permettra de retrouver l’équilibre.
Dans le cas du burn-out et particulièrement lors de son installation dans la phase dite de « résistance », les personnes ont beaucoup de mal à s’éloigner de leur situation de travail. Tout d’abord leur anxiété augmente lorsqu’elles n’éprouvent pas le sentiment de contrôler leur charge de travail, ce qui est davantage le cas en week-end ou lors de vacances (qu’elles ont tendance à ne pas prendre, ou alors en restant très connecté à leur travail)
Ensuite, il arrive que leur environnement les sollicite ou bien que la charge objective à laquelle ils sont confrontés ne leur permette pas de « décrocher », ou plus exactement que leur conscience professionnelle leur interdise de (se) dire « non ».
– Épisode dépressif majeur
Cette différence est plus difficile à percevoir car les personnes souffrant d’un burn-out présentent un tableau ressemblant fort à l’épisode dépressif majeur (DSM V). Il ne faut cependant pas s’y tromper.
D’une part, la rupture décrite dans le burn-out fait souvent suite à une période de stress chronique, ce qui n’est pas forcément le cas dans l’épisode dépressif majeur. D’autre part, l’épisode dépressif est en général associé à tous les pans de la vie de la personne, alors que le burn-out est vraiment lié à un « chagrin d’honneur *** » trouvant sa source dans la vie professionnelle. C’est avant tout un lien au travail, patiemment construit au fil des années, qui s’effondre.
– Instrumentalisation
Au risque de nous montrer « politiquement incorrect », nous nous devons d’évoquer la dérive consistant à se percevoir à tort en burn-out… Nous pensons ici à des arrêts de travail de courte durée étiquetés de « burn-out ». Sans doute que l’erreur de diagnostic n’exclue pas une véritable souffrance dans la majeure partie des cas… Néanmoins, le réel effondrement que constitue le burn-out s’avère très différent d’un mal-être passager, d’autant plus quand on en fait étalage.
Existe-t-il des salariés « à risque » ?
Les salariés les plus touchés sont souvent les plus investis, les plus exigeants, et les plus reconnus par leur environnement. Le burn-out génère d’ailleurs beaucoup de culpabilité chez eux, ils s’accusent de ne pas avoir « tenu », d’avoir « failli ». Le travail est d’ailleurs pour eux une source importante d’estime de soi : ils ont tendance à penser qu’ils valent en tant que personne ce qu’ils valent en tant que professionnels. Comme si toute leur valeur personnelle se jouait dans chaque résultat à obtenir…
Les DRH, tout autant que les élus du CSE ou de la CSSCT constituent aussi une population à risque car ils se situent au carrefour des pressions, se sur-investissent pour les salariés parfois sans pouvoir révéler ce qu’ils font pour eux, ni pouvoir partager sur les situations qui leur sont confiées. Ils se trouvent parfois face à des salariés qui ne reconnaissent par leur aide, ni leur contribution. Or, ils ne sont ni médecins, ni psychologues et doivent se positionner face à des questions humaines pour lesquelles il n’y a jamais de réponse simple. Enfin, peuvent-ils toujours mettre des limites à ce que les salariés leur demandent ou se protéger eux-mêmes de ce qu’ils entendent ?
Existe-t-il des entreprises « à risque » ?
Les entreprises qui encouragent le sur-engagement, tout en se montrant floues sur les mécanismes d’attribution de la reconnaissance favorisent mécaniquement le burn-out par l’encouragement permanent d’un « toujours plus ». Nous pensons notamment à certains cabinets d’avocats d’affaires où les règles pour devenir associé(e) sont mal connues, alors que l’incitation à travailler le plus possible est quant à elle bien identifiée ! Comment savoir quand s’arrêter lorsque l’on ne sait jamais si c’est « suffisamment bien » ?
A cela peut s’ajouter l’attitude des dirigeants. Parfois restés dans la première phase décrite ci-dessus (la « lune de miel » !), passionnés, sur-engagés et en réussite, ils peuvent malgré eux envoyer une injonction à un engagement sans limite pour ceux qui voudraient à leur tour leur ressembler. Mais tout le monde en a-t-il la capacité ? Enfin, les organisations dotées d’une très forte culture d’entreprise, suscitant un fort sentiment d’appartenance peuvent aussi générer des effets paradoxaux : des salariés ne s’autorisant pas à « penser à eux » et ne concevant qu’un lien de fort dévouement à leur
entreprise. Cela sera particulièrement vrai dans les organisations à vocation sociale ou sociétale (associations, milieu hospitalier…)
2) Comment agir sur une situation de burn-out ?
La complexité des sujets de santé au travail et plus encore le cas particulier du burn-out invitent à se garder des solutions faciles et à envisager plutôt un abord à plusieurs niveaux. En effet, il ne s’agit pas de « psychologiser » une situation de burn-out en la considérant comme une problématique individuelle qu’une personne manquant de prise de recul n’a pas su gérer.
Il ne s’agit pas non plus d’adopter une optique uniquement organisationnelle qui nierait la variabilité individuelle : nous ne sommes pas tous égaux face à la pression et n’investissons pas le travail de la même manière. Pourtant, l’organisation et la
reconnaissance du travail ont bien évidemment leur importance dans la survenue de burn-out.
Enfin, il est facile d’imaginer combien le collectif entourant la personne en difficulté peut aussi bien faire partie du problème que de la solution… Pour éviter toute approche partielle, il s’agit donc de combiner l’approche individuelle,
collective et organisationnelle.
Pour l’individu :
La difficulté est que tout commence très bien ! C’est au fil des années que, insidieusement, le retentissement du travail sur la santé se fait sentir. Il est par ailleurs toujours difficile de se dire « stop » et donc de l’exprimer aux autres lorsque l’on trouve
que son activité a du sens et que l’on en attend une reconnaissance.
L’enjeu pour l’individu est donc double :
– Prêter attention aux signes d’alerte que l’entourage envoie. Souvent ces personnes sont « dures au mal » et s’inquiètent bien davantage des autres que d’elles-mêmes. L’enjeu pour elles est parfois d’entendre l’inquiétude de leur entourage en quittant la position du « surhomme » (ou de la « surfemme » !).
Christine, une Déléguée du Personnel **** que nous avions accompagnée individuellement nous déclarait ainsi : « je ne veux pas décevoir les gens, ils ont besoin que je sois toujours là pour les écouter ». Très investie dans sa mission et très à l’écoute des autres (sans y être véritablement formée), elle ne s’inquiétait pas de la dégradation de sa santé psychologique. Elle nous disait ainsi se réveiller plusieurs fois la nuit, chaque nuit, car elle repensait à ce que ses collègues lui avaient confié, tout en lui demandant de garder le secret… Absorbée par cette injonction paradoxale (« aide-moi, mais n’en parle à personne »), elle n’avait plus aucune attention à elle-même. L’inquiétude de son entourage, ainsi qu’un accompagnement externe pour développer sa capacité à poser des limites lui ont permis de prendre conscience de la dérive dangereuse dans laquelle elle était engagée. Elle apprit ainsi à demander à ses collègues « qu’est-ce que tu attends de moi ? » afin de les aider à passer de la plainte à la demande et de les rendre acteurs de la problématique qu’ils venaient lui confier et non uniquement consommateurs d’une solution.
– Apprendre à prendre soin de soi. Pour cela, se poser plusieurs questions afin de prendre du recul : « est-ce que le prix que je paye à mon travail me convient ? » « Si non, est-ce que ce prix va diminuer spontanément ou requiert-il une action de ma part ? » ; « Si une action est nécessaire, pour commencer : quelle est l’action la plus facile à mettre en place et la plus nécessaire pour diminuer la prise du travail sur moi ? » ; « quel est le fond de ce que je recherche dans mon travail ? Est-ce que ma manière de m’y investir peut me faire obtenir ce que je recherche ou est-ce que c’est un vain espoir? »
Pour accompagner une personne lors d’un retour au travail, souvent après une longue absence (plusieurs mois) :
La qualité de l’accompagnement de la reprise constitue bien sûr un enjeu majeur. Selon notre expérience de l’accompagnement individuel à la reprise, les personnes sont mues par l’envie de « ne pas décevoir » et de répondre à des attentes dont elles ont souvent une vision maximisée et angoissante. Sur le plan émotionnel, elles sont parfois animées par une culpabilité importante. Il nous semble essentiel qu’elles s’éloignent d’un modèle sacrificiel et qu’elles fassent l’expérience d’une réussite à leurs yeux. L’organisation quant à elle veillera à ne pas les laisser à nouveau se fixer des objectifs qui la mettraient en échec… En somme, c’est tout un rapport au travail qui doit être réinventé, ce qui ne peut se construire que dans la durée.
Les clefs de prévention à disposition du management de proximité:
Le collectif entourant le salarié peut constituer un facteur de protection : Trop souvent, les personnes très engagées se sentent essentielles à la réussite d’un ensemble, voire se sentent seules à le porter, mais ne se sentent pas elles-mêmes soutenues par un collectif. La notion de groupe est souvent confondue avec celle de collectif. Le groupe n’est qu’un ensemble d’individus partageant une particularité commune, par exemple, l’appartenance à un service.
Deux critères supplémentaires majeurs permettent de pouvoir caractériser l’existence d’un collectif de travail :
– D’une part, la perception que les autres ne pourraient pas réussir sans nous
– D’autre part, la perception que nous ne pourrions pas réussir sans les autres.
Lorsqu’elle se traduit par des comportements concrets, cette acceptation d’une inter- dépendance et de sa propre finitude signe l’existence d’un collectif. Celui-ci permet au salarié sur-engagé de trouver des ressources autour de lui et non plus de se sentir seul face à son travail et à la conception qu’il en a.
Sur un plan pratique, le soutien du management de proximité ou du collectif à l’un de ses membres dont on craint le burn-out repose sur quelques principes simples et sur le choix du bon moment.
En effet, dans la phase dite de « lune de miel », les alertes que l’entourage pourrait essayer de porter à la vigilance de leur collègue resteraient vaines car ce dernier ne perçoit que les bénéfices de son fonctionnement et non ses coûts.
Il est donc davantage bénéfique d’entamer un échange au début de la phase dite de résistance, notamment lorsque le salarié commence à développer un discours critique sur le travail des autres ou la reconnaissance qui lui est témoignée…
A cet instant, dire à son collègue ou collaborateur de moins travailler ne sert à rien. Cela ne servirait qu’à lui faire se sentir coupable de travailler autant !
Il s’agit donc de le faire réfléchir en évitant les conseils faciles ou les propos culpabilisants : le lecteur peut s’aider des questions ci-après.
« J’ai observé combien tu étais investi. Qu’attends-tu en échange ? »
« Ton niveau d’investissement est-il toujours efficace ou t’arrives-t-il de ne pas pouvoir faire autrement ? »
« T’autorises-tu à demander de l’aide et si oui laquelle ? »
« Comment vois-tu l’évolution de ta situation si rien ne change ? »
L’entourage professionnel doit également s’interroger sur sa propre attitude : en quoi celle-ci pourrait favoriser le sur-engagement du collègue/collaborateur… Voici quelques exemples de propos qui pourraient y concourir :
« Toi seul peux nous aider. Toi au moins, tu travailles bien » ; « c’est une mission difficile, elle est faite pour toi » ; « j’ai encore besoin de toi, est-ce que tu peux m’aider ? »
« Tu devrais prendre des vacances, et à la fois tu es le seul à qui l’on peut faire confiance sur ce dossier »…
Les clefs de prévention, à destination de l’entreprise :
Les organisations disposant d’un véritable plan de prévention des risques psychosociaux sont également celles dans lesquelles les burn-out sont les moins nombreux ou dépistés les plus précocement.
Comme nous l’avons évoqué, le burn-out est à différencier du surmenage. Ce dernier n’est qu’un excès de travail. Néanmoins, le surmenage est souvent lié à une surcharge passagère de travail. Il n’est donc pas à banaliser, mais il suppose surtout une amélioration de la mesure de la charge de travail et notamment de l’équité dans la distribution de celle-ci. Bien souvent, les personnes les plus efficaces et/ou les plus engagées sont davantage sollicitées que les autres. S’il s’ajoute à cela leur difficulté à (se) dire « non », le surmenage menacera bien vite…
Les trois facteurs essentiels et combinables qui peuvent mener au burn-out sont la surcharge de travail, le sur-engagement, le manque de soutien managérial.
Le management et la RH devront donc s’interroger sur la qualité de leurs dispositifs pour mesurer la charge effective de chacun : en effet, les personnes sur-engagées évoquent souvent une surcharge de travail, mais disent rarement qu’elles ne sont pas capables d’y faire face…
Le sur-engagement est souvent lié à la recherche d’un résultat hypothétique : ce résultat peut s’incarner dans une forme de reconnaissance (par exemple, être promu), tout autant que dans une vision absolutiste de sa mission (par exemple, ne jamais refuser d’aider quelqu’un).
Le management, soutenu par la RH aura donc un rôle essentiel à jouer, particulièrement dans la phase dite de « résistance » : avec franchise et délicatesse, il doit prendre le temps de faire réfléchir la personne concernée afin qu’elle se fixe des objectifs atteignables, tout en se sentant soutenue pour les remplir.
Le soutien managérial suppose un travail de formation continu des managers : ils doivent recevoir une formation aux fondamentaux du management, tout autant qu’appartenir à une « communauté de managers » de façon à échanger sur leurs
pratiques managériales. Il s’agit de mettre en place des groupes d’échanges afin de permettre aux salariés et notamment aux managers de trouver de la ressource dans un groupe de pairs et à la fois d’identifier des problématiques que l’organisation doit traiter.
Nous animons ce type d’atelier en utilisant la méthode du co-développement afin d’aboutir à des « dictionnaires de bonnes pratiques managériales » concrétisant les solutions et conduites à tenir que les managers ont eux-mêmes élaboré pour dépister et faire face aux situations difficiles rencontrées par les collaborateurs.
Il s’agit de mettre en place un audit afin d’identifier en quoi les situations de travail peuvent favoriser le burn-out et de proposer des remèdes. Habituellement, nous recherchons cinq points dans une entreprise qui veut prévenir le burnout :
– La transparence des modes d’appréciation et de reconnaissance vs un flou dans les processus de reconnaissance et de promotion ou pire, une prime implicite au sur-engagement telle que nous avons pu la constater dans certains cabinets d’avocats d’affaire dans lesquels il est su par tous sans que cela soit dit qu’il est impossible de devenir associé sans faire 2000 heures/an. Le manque d’évaluation de la performance collective au profit d’une évaluation uniquement individuelle encourage chacun à aller au bout de lui-même.
– Le manque de référentiels métiers et particulièrement de management qui laisse à chacun la libre interprétation de l’engagement à fournir dans son travail. Nous l’avons constaté dans des entreprises d’experts dans lesquelles le rôle du manager se trouve peu défini ou mal accompagné.
– Le manque de culture de feed-back : savoir se dire les choses difficiles avant qu’il ne soit trop tard, y compris lorsque les personnes sont sur-engagées et parfois en conséquence vite affectées par ce qu’elles peuvent percevoir comme critique. Nous l’avons observé dans des entreprises au sein desquelles il y avait peu de culture du désaccord, celui-ci étant vite perçu comme une désobéissance ou une atteinte potentielle à la qualité relationnelle
– Le sur-engagement des dirigeants dans le travail ou le sous-engagement dans les sujets de santé au travail crée parfois un rôle model qu’il n’est pas facile à combattre car ils ont beaucoup de bénéfices à fonctionner comme cela. Nous l’avons observé dans une entreprise où le dirigeant charismatique surinvesti envoyait implicitement à tous
que pour réussir aussi bien que lui il fallait se surinvestir.
– Le manque de moyens, rapporté aux objectifs à atteindre : le sur-engagement de l’individu est parfois le seul moyen qu’il trouve de pallier les déficiences du système. (surcharge de travail)
Le burn-out est aussi une affection de la reconnaissance, pas uniquement de la surcharge. Il doit être traité au niveau de l’individu, mais aussi au niveau des pratiques organisationnelles favorisant ce type de situation. Un audit rigoureux doit ainsi être mené pour identifier ce qui doit évoluer chez l’individu, le collectif de travail et l’organisation afin que l’efficacité ne s’obtienne jamais au détriment de la santé.
II- L’approche légale du burn-out
Il n’existe aucune disposition légale qui définit le burn-out.
En droit, la notion de burn-out est souvent confondue avec celle des risques psychosociaux et traitée par la jurisprudence sous la bannière du harcèlement.
Risque psychosociaux (RPS), stress au travail, syndrome d’épuisement professionnel, souffrance au travail, burnout… Autant de mots utilisés par les différents intervenants d’un dossier de burn-out (médecin généraliste, médecin du travail, spécialiste psychologue, psychiatre, avocat, employeur, inspection du travail, délégués du personnel et CSE…) qui définissent le mal-être au travail mais qui ne sont pas des notions juridiques.
Le stress au travail fait pourtant partie intégrante des risques auxquels peuvent être exposés les salariés depuis l’accord-cadre européen sur le stress au travail du 8 octobre 2004. L’accord national interprofessionnel sur le stress au travail du 2 juillet 2008 a repris également cette notion.
Les deux fondements légaux essentiels dans le code du travail sur lesquels vont s’appuyer les juges pour sanctionner un employeur dont le salarié arrive à démontrer qu’il a été victime de burnout sont principalement :
1- Les articles L 4121–1 et suivants du code du travail sur la prévention des risques
professionnels
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
– L’article L 4121-2 stipule
L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
2-L’article L 1152–1 (harcèlement moral) du code du travail sur le harcèlement prévoit
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Alors que l’employeur était tenu d’une obligation de résultat (Cass. Soc 3 février 2010 : «L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements»), un arrêt important ouvre une brèche et permet à l’employeur de pouvoir s’exonérer de sa responsabilité. (Cass. Soc. 25 novembre 2015 : La Cour de Cassation admet la recevabilité et la validité des éléments de faits et de preuve qui lui étaient soumis, démontrant que l’employeur avait diligenté les mesures nécessaires et suffisantes pour assurer la sécurité des salariés).
L’employeur peut dorénavant tenter de s’exonérer de sa responsabilité s’il démontre avoir réagi immédiatement à des faits de harcèlement, qu’il avait pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour faire cesser la situation et qu’il avait mis en œuvre des actions d’information et de formation afin de prévenir la survenance de faits de harcèlement (Cour de Cassation, chambre sociale, 1er juin 2016, n°14-19.702)
Ainsi, l’employeur qui met en place une politique de fond sur les risques psycho-sociaux et qui prend les mesures nécessaires face à un cas spécifique peut s’exonérer dorénavant de sa responsabilité ce qui n’était pas le cas auparavant où la responsabilité de la société était automatiquement engagée et la condamnation automatique.
3 -Il existe également des textes spécifiques dans le code du travail qui peuvent renvoyer aux risques psychosociaux tels que l’article L 4161–1 du code du travail relatif à l’obligation de négocier un accord ou d’établir un plan d’action en faveur de la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels. Mais cela est limité aux entreprises d’au moins 50 salariés ou appartenant à un groupe de 50 salariés qui interviennent dans des activités à risques (milieu hyperbare, température extrême, bruit, travail de nuit, travail en équipe successive alternante, travail répétitif) et la proportion minimale de salariés exposés est fixé à 25 % de l’effectif ou l’indice de sinistralité au titre des accidents du travail et maladies professionnelles doit être supérieur à 0,25.
Application pratique d’un cas de burn-out
Lorsqu’un salarié est en burn-out, le problème est que souvent, il n’en parle pas et il est donc difficile de le détecter.
S’il en parle à un collègue, un représentant du personnel ou les ressources humaines, ou s’il vient consulter un Avocat en considérant être victime de burn-out sur son lieu de travail, il y a lieu tout d’abord d’écouter son histoire qu’il a en général beaucoup de difficultés à raconter et qui peut être décousue avec des points qu’il considère cruciaux et qui ne sont juridiquement pas fiables et d’autres, selon lui, anodins qui pourraient pourtant justifier une qualification juridique et une responsabilité éventuelle de l’employeur.
Les faisceaux d’indices pour caractériser le burn-out sont en général de quatre ordres :
– Une manifestation émotionnelle (peur, doutes, pleurs, tension nerveuse…)
– Une manifestation physique (troubles du sommeil, tension musculaire, paralysie…)
– Une manifestation cognitive (diminution de la concentration, les erreurs commises dans le travail…)
– Une manifestation comportementale (isolement, addictions médicament alcool…)
Il y a également parfois un lien avec une difficulté dans la vie personnelle (divorce décès maladie…) Cela peut rendre plus compliqué de distinguer le burnout professionnel mais il n’y a pas de règles. L’on peut rencontrer une situation personnelle difficile et en même temps subir un burnout professionnel.
Il y a des signaux forts mais aussi des signaux faibles à détecter. Il y a des critères collectifs à rechercher (fonctionnement de l’entreprise, durée du travail, climat social, santé au travail…) et des critères individuels (absentéisme, plaintes du
salarié, changement de comportement…)
En droit, il est essentiel pour l’employeur afin de lutter contre les risques psychosociaux en général et le burn-out en particulier d’agir en prévention conformément aux préconisations des articles L 4121–1 et suivants du code du travail. Il existe un certain nombre d’outils, juridiques ou autres, tels que l’élaboration de charte sur la qualité de vie au travail, sur la déconnexion, négociation d’accords d’entreprise sur la durée du travail, des formations sur la gestion du stress, la gestion des conflits, le management, les RPS, des coachings, la médiation…
Les services RH ont un grand rôle à jouer dans la détection d’un cas de burn-out. La difficulté est de pouvoir le détecter car les personnes ont souvent le réflexe de culpabiliser et de considérer que c’est de leur faute. Ils cachent leurs difficultés jusqu’à épuisement. Ou s’ils en parlent à quelqu’un dans l’entreprise, ils souhaitent que cela reste confidentiel. S’ils dénoncent des faits de burnout liés à un harcèlement moral, ils sont souvent isolés car les collègues ont du mal à rompre le silence ayant trop peur des représailles et l’entreprise tente d’étouffer l’affaire ou contredire la parole du salarié
pour pouvoir s’exonérer de toute responsabilité.
Face à un burn-out, le salarié n’a pas d’autre choix que de se mettre en arrêt maladie. Cela a pour effet de suspendre le contrat de travail mais l’arrêt ne soigne pas le rapport au travail et la personne est ensuite souvent incapable de reprendre, trop angoissée de revenir dans ce milieu professionnel toxique pour elle. Un cercle vicieux s’installe car
reprendre parait impossible tout comme rester dans cette situation.
Le médecin généraliste prescrit souvent un arrêt maladie classique. Il est vrai que le burn-out n’a pas été inscrit dans le tableau des maladies professionnelles. Pourtant, la loi numéro 93–121 du 27 janvier 1993 avait instauré en complément du système de tableau une procédure de reconnaissance fondée sur une expertise individuelle par des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles composés de médecins. Cette procédure intervient notamment lorsqu’il est établi qu’une maladie non désignée dans un tableau est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès ou une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 25 %. (Article L461–1 du code de la sécurité sociale). La loi Rebsamen du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a précisé que les pathologies psychiques pouvaient être reconnues comme maladie d’origine professionnelle dans les conditions
prévues audit article.
Ainsi, peut être reconnue comme maladie professionnelle un burnout si la victime peut démontrer que ce burnout est essentiellement et directement causé par le travail habituel et qu’il a entraîné une incapacité permanente à un taux de 25 %. Si le CRRMP rejette la demande, le salarié peut faire appel devant la commission de recours amiable, avant le cas échéant de déposer un recours devant le tribunal.
Par ailleurs, l’organisation mondiale pour la santé à adopter le 25 mai 2019 sa 11e révision de la classification internationale des maladies qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022. Cette révision revoit la définition du burnout et le lie exclusivement au travail. Le burnout ou épuisement professionnel est ainsi considéré comme un phénomène lié au travail, il n’est toujours pas classé parmi les maladies professionnelles. Il est défini comme suit : le burn-out ou épuisement professionnel est un syndrome conceptualisé comme résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré. Trois dimensions le caractérisent : un sentiment de manque d’énergie ou d’épuisement ; un retrait vis-à-vis du travail, des sentiments de négativisme ou de cynisme lié au travail ; une perte d’efficacité professionnelle.
A l’issue de l’arrêt maladie qui est souvent de longue durée pour un burn-out, le salarié pourra reprendre son poste et il y aura lieu pour l’employeur de l’aménager ou de reclasser le salarié sur un poste compatible pour tenir compte des préconisations du médecin du travail et de l’état de santé de la personne, soit le salarié sera déclaré inapte par la médecine du travail ce qui déclenchera le licenciement pour inaptitude dans le délai d’un mois. A défaut, l’employeur devra verser l’intégralité du salaire. Il arrive aussi qu’une négociation amiable puisse se mettre en place, souvent par l’intermédiaire des
avocats, pour trouver un arrangement afin de rompre le contrat de travail et d’indemniser le préjudice du salarié concerné en contrepartie d’une renonciation à toute instance et action à l’encontre de l’employeur.
L’évolution de la jurisprudence nous permet de penser que l’employeur a tout intérêt à mettre en place une politique RPS afin de prévenir tout risque en ce sens car le fait de faire cesser une situation de burn-out, outre que cela démontre qu’il est déjà trop tard, ne suffit pas à pouvoir s’exonérer de sa responsabilité.
Encadré : synthèse des pratiques permettant de prévenir le burn-out :
– Mise en place d’une politique RPS conformément aux articles L4121-1 et suivants
– Sensibilisation des dirigeants, RH, cadres, salariés, partenaires sociaux aux mécanismes et processus du burn-out
– Mise en place d’un processus rigoureux d’évaluation de la charge de travail
– Mise en place de groupe de partage de pratiques entre managers afin de développer les compétences managériales et de les formaliser dans des « dictionnaires de bonnes pratiques »
– Clarification et explication des règles d’attribution des promotions
– Pour tous les salariés ou agents, explicitation du rôle des différents acteurs : RH, SST, délégués du personnel, CHSCT
* https://www.who.int/mental_health/evidence/burn-out/fr/
** Tous les prénoms mentionnés dans cet article ont été modifiés
***Davor Komplita
****au sens de ce terme jusqu’à fin 2019, date de cet accompagnement
Pour aller plus loin consulter le dossier pratique Liaisons sociales « Epuisement professionnel : mieux comprendre et agir »